Les anguilles européennes prennent le chemin des écoliers vers la Mer des Sargasses

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Mise à jour le 7 octobre 2016

Le suivi de leurs déambulations océaniques indique que certaines pourraient commencer leur migration lors d’une saison de reproduction, mais se reproduiraient finalement à la saison suivante.

Traduction de l’anglais d’après l’article de Susan Milius du 5 octobre 2016 publié sur Sciencenews.org

Photo LOGRAMI
Anguille argentée. Photo LOGRAMI

Les fameuses migrations de reproduction des anguilles européennes ne sont peut-être pas des courses transatlantiques vers le site de reproduction. Les détours pourraient les retarder au point de leur faire rater le rendez-vous et attendre la saison suivante pour se reproduire.

Les reconstitutions les plus abouties des parcours individuels des anguilles argentées remettent en cause l’hypothèse selon laquelle les anguilles européennes (Anguilla anguilla) migrent et se reproduisent en banc, d’après David Righton, biologiste du comportement au Centre des sciences pour l’Environnement, la pêche et l’aquaculture (Centre for Environment, Fisheries and Aquaculture Science) de Lowestoft, en Angleterre.  Les différents parcours des anguilles marquées dans le cadre de l’étude étaient si longs que les balises satellites programmées pour être libérées le 1er avril, à la date attendue de leur reproduction, ont montré qu’aucune des 33 anguilles n’avait atteint les profondeurs de la Mer des Sargasses.

Trajectoires d’errance

Le calcul des trajectoires et des vitesses des anguilles indique que beaucoup d’entre-elles étaient déjà trop éloignées de la route attendue pour atteindre le rassemblement général à temps sans devoir réaliser des accélérations impossibles de leur vitesse de nage, d’après la publication d’une équipe internationale, le 5 octobre 2016 dans la revue Science Advances. L’anguille arrivée le plus près de la Mer des Sargasses au moment de la libération de sa balise avait voyagé presque 10 mois et divagué pendant plus de 6900 km, soit une distance déjà plus longue que la route directe.

La migration et la reproduction des anguilles a déconcerté les biologistes depuis des siècles. L’anguille européenne peut vivre jusqu’à 90 ans en eau douce, mais ne s’y reproduit pas. Chacune ne se reproduit qu’une fois dans sa vie, en rejoignant les eaux marines pour disparaître des radars des scientifiques dans l’océan atlantique.

Righton et al. Science Advances 2016
L’enchevêtrement des lignes noires le long des côtes européennes montre la reconstitution des parcours 87 anguilles européennes vers la zone de reproduction présumée de la Mer des Sargasses. 33 d’entre elles a pu franchir la limite du plateau continental. Les lignes suggèrent que les anguilles venant de toute l’Europe pourraient converger vers l’archipel des Açores avant d’effectuer leur traversée. Righton et al. Science Advances 2016.

Un nouveau point de vue sur des données existantes

Il y a un siècle environ, un chercheur a déduit d’après ses captures de larves leptocéphales d’anguilles que ces espèces d’eau douce devaient se reproduire dans la Mer des Sargasses, une région au cœur de la gyre (tourbillon) formée par le Gulf Stream et la Dérive Nord-Atlantique et appelée ainsi à cause de l’abondance des algues flottantes Sargassum qui s’y accumulent. Cette mystérieuse saison de reproduction commencerait vraisemblablement en décembre pour atteindre son maximum le 14 février, plus tôt que ce qui était estimé jusqu’ici, d’après les estimations de chercheurs, à partir d’une analyse récente de données historiques sur la taille de ces larves. Mais à l’heure actuelle, aucun scientifique n’a réussi à observer des adultes sur place.

Dans le cadre du projet européen EELIAD, une collaboration internationale a marqué 707 anguilles argentées pour les libérer le long des côtes européennes. Beaucoup ont été capturées par des prédateurs, dont certains étaient humains. En 2009, les chercheurs ont publié le resultat du suivi de ces anguilles sur les 1300 premiers kilomètres de leur trajet estimé à 5000km. Aujourd’hui, des analyses plus poussées des températures et profondeurs enregistrées par les marques a permis de retracer les trajectoires de 33 anguilles qui ont franchi le plateau continental vers les profondeurs.

A partir des points finaux de localisation et des distances restantes à parcourir, les chercheurs ont calculé que pour qu’au moins la moitié des anguilles localisées puisse arriver au pic de reproduction, elles auraient à accélérer leur moyenne de 15 à 53 km par jour. Ceci en considérant une route directe ce que les anguilles n’avaient pas fait jusqu’ici, affrontant les courants océaniques par leurs moyens de navigation encore mystérieux. Compte-tenu de ces vitesses invraisemblables, les chercheurs suggèrent qu’il est temps de remettre en question l’idée que le départ des anguilles à la même saison de migration correspond à une synchronisation sur la même saison de reproduction.

Plus de questions que de réponses…

Les anguilles nord-américaines quittent leurs fleuves et nagent vers la Mer des Sargasses mais ont un voyage océanique plus court, d’après Mélanie Béguer-Pon de l’Université de Laval à Québec. Une étude de marquage qu’elle a publié indique qu’elles prennent une route plus directe et devraient arriver à temps pour la saison de reproduction. Mais elle n’exclut pas la possibilité de voyageuses plus lentes, qui n’auraient pas été marquées, de leur côté de l’Atlantique.

Julian Dodson, de l’Université de Laval et collaborateur de l’étude de marquage, comprend mal comment les mécanismes d’évolution sélective n’auraient pas favorisé les anguilles européennes les plus efficaces. Des mois supplémentaires de migration impliquent une exposition plus forte aux prédateurs et une dépense d’énergie supérieure, car les anguilles migrantes ne se nourrissent pas. Mais comme il dit : « c’est le problème avec les anguilles, toujours plus de questions que de réponses ».

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